La musique comme atout de la marque

Achille Forler, fondateur

Qu'est-ce qui a déclenché la création de Music Curator ?

J'avais été impressionné par la programmation musicale lors d'un défilé de mode. J'ai cherché à connaître le concepteur sonore et j'ai ainsi rencontré Arnaud Azzouz, ancien producteur et manager d'un groupe connu. Au cours de notre entretien, nous avons échangé des anecdotes sur la qualité aléatoire de la musique, les systèmes musicaux inadaptés et l'acoustique souvent épouvantable des hôtels de luxe, et sur la façon dont cela diminue l'expérience des clients. J'étais un éditeur de plus d'un million d'oeuvres musicales, et il était enthousiaste de collaborer. C'est ainsi qu'est né Music Curator, qui reflète notre mission de choisir la musique pour les lieux emblématiques comme on choisit des oeuvres d'art pour une exposition ou un musée.

A nos débuts, nous avons eu la chance d'avoir comme clients trois directeurs généraux exceptionnels, en charge de la rénovation ou de la réouverture de sublimes propriétés. Lorsque vous travaillez pour des destinations intemporelles comme celles-ci, il faut craquer le code de chaque propriété tout en gardant un point commun sonore entre elles, car elles appartiennent au même Groupe.

Pourquoi la musique devient-elle un atout essentiel pour les marques ?

Éteindre la musique dans un hôtel, c'est comme éteindre la bande-son d'un film. Ne pas utiliser ce potentiel, c'est comme garder une Ferrari enfermée dans un garage. L'industrie hôtelière ne voit pas les choses de cette façon, car la musique n’est pas enseignée dans les écoles hôtelières. J'y ai vu une opportunité pour les marques de mettre en place une stratégie musicale pour communiquer avec leurs clients et le monde extérieur à un coût négligeable.

Suffisamment de preuves ont été recueillies au cours des 70 dernières années pour confirmer que la musique d'ambiance a un impact sur le comportement des clients. Des recherches récentes ont affiné notre compréhension du fonctionnement de la musique : nous avons un cerveau musical qui est différent de notre cerveau verbal et qui lui est antérieur. Beethoven l'a bien senti quand il a déclaré,

“La musique entre dans notre cerveau par une porte différente.”

La musique amplifie considérablement nos émotions, tout comme une bande sonore amplifie les scènes d'un film. Le nombre de zones cérébrales affectées au traitement de la musique est bien plus important que celui du langage. L'homme est véritablement une espèce musicale. Pourquoi n’en pas tenir compte ?

L'offre traditionnelle de musique d'ambiance basée sur le genre - smooth jazz, lo-fi, etc. - ou sur le contexte - relaxation, mexicain, bistro, etc. - n'a d'autre but que de masquer discrètement les sons désagréables - voix, bruit ambiant - ou, dans le meilleur des cas, de créer un "bien-être" émotionnel chez les clients et le personnel. On peut entendre cette musique prévisible, générée par des algorithmes, partout, dans une épicerie ou un hall d'hôtel. Malheureusement, cette approche algorithmique est encore l'"option par défaut" dans l'industrie hôtelière parce que c'est l'option facile que proposent les fournisseurs de musique.

Comment le design musical, une discipline relativement jeune, peut-il contribuer à la différenciation des marques ?

La musique a le meilleur “rapport qualité-prix” dans le budget d’un hôtel. Pour commencer, le client doit savoir exactement ce que sa marque représente. C'est un défi pour certaines d’entre elles. Les entreprises qui ne s'en sortent pas bien sont généralement celles qui ont perdu leur narratif, ou qui n'en ont peut-être jamais eu.

Une marque est constituée de plusieurs éléments ou actifs, et la musique est l'un d'entre eux. Négliger son actif musical, c'est comme ne pas prêter attention à la décoration intérieure ou au menu. Les marques que l'on ne peut pas identifier les yeux fermés sont des marques muettes. Lorsqu'une marque fait feu de tout bois sur l'ensemble de ses actifs, alors le décor est planté pour une expérience optimale dans la fourchette de prix dans laquelle elle opère. Dans une même gamme de prix, les gens recherchent instinctivement la meilleure expérience. La musique est sans aucun doute l'un de ces facteurs de différenciation.

Pour une marque dans la gamme inférieure qui n'a pas grand-chose pour se différencier de ses concurrentes—et il y en a beaucoup—la musique peut être le principal facteur de différenciation. Les restaurants le font depuis deux siècles, quand ils engageaient des orchestres connus. Dans ce cas, la clé est de créer une base sonore originale qui permette une évolution continue car, sur ce marché, un an est une longue période; comme pour les radios, on doit régulièrement rafraîchir la programmation. C’est le cas aussi pour les salles de gym.

Comment, alors, aborder une stratégie musicale?

Si l’on considère que le design musical est un art, il convient alors de s’adresser à ses artistes. Toute stratégie musicale repose sur trois piliers:

La curation. Lorsque la musique est conçue en accord avec les autres actifs de ta marque, elle devient la voix de ta marque et transmet son identité de manière émotionnelle.

La qualité sonore. Quel hôtel ou restaurant peut encore servir de la bouillie sonore à une clientèle qui écoute la musique sur son portable ou à une clientèle mélomane? Si l’on veut que les clients ressentent pleinement les émotions que les compositeurs ont mis dans leur musique, il faut la transmettre telle qu'elle a été enregistrée en studio. Ce n’est pas possible avec de petites enceintes, quelle que soit leur marque, encastrées dans le plafond. Voir la Joconde au Louvre ou sur un timbre-poste ne donne pas la même sensation!

L'acoustique. Nous aimons les bâtiments historiques parce que l'acoustique fait partie intégrante de leur conception. Lorsque j'entre dans un bâtiment, je vois des sons là où d'autres voient des formes et des couleurs. Dans les structures construites après la Seconde Guerre mondiale, je vois des fréquences chaotiques qui aggressent mon ouïe me donnent envie de partir. L'acoustique devrait faire partie intégrante de la conception architecturale. Malheureusement, ce n'est pas le cas aujourd'hui.

L'audio est le talon d'Achille de l'industrie hôtelière.

Quel serait le meilleur conseil ?

Ne sous-estimez pas vos hôtes. Mon conseil à tous, architectes, directeurs généraux ou directeurs de F&B, est le suivant : imaginez que le client à vos côtés soit Philip Glass, Hans Zimmer, Kirill Petrenko, Sir Simon Rattle ou Dany Elfman et posez-vous la question : est-ce cela que je veux qu'il entende dans mon hôtel, dans mon restaurant ?

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